A Bamako, une étude tire la sonnette d’alarme sur la qualité du pain

Une étude réalisée par des chercheurs maliens a montré que le pain et la farine utilisée pour la fabrication du pain à Bamako sont de qualité sanitaire non conforme.

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Les conditions de transport du pain de la boulangerie aux points de vente sont catastrophiques. Abdoulaye, 44 ans, est un fournisseur de baguettes dans le quartier de Sirakoro Negêtana – commune de Kalamban coro – à Bamako. « Pour nourrir ma famille, je suis obligé d’être livreur de pain », glisse-t-il dans un sourire, en montrant les baguettes qu’il donne aux boutiquiers chaque matin à 5h30 et 16h00 la soirée.

Abdoulaye utilise une caisse en fer recouverte d’un vieux morceau de plastique empoussiéré sous lequel se cache le pain à moitié couvert. La caisse est attachée sur une moto avec laquelle il sillonne le quartier. « Quand je vois ça, j’ai mal au cœur. Ça ne me donne pas l’envie d’acheter le pain à la boutique. Mais je suis souvent obligée d’en acheter, car la boulangerie est loin de mon restaurant », se plaint Awa Traoré, gérante d’un restaurant à Sirakoro.

A Bamako, la quasi-totalité des livreurs de pain utilise le même moyen de transport que Abdoulaye. Pire, certains n’utilisent même pas de plastiques pour couvrir les baguettes. Et quand arrive la saison des pluies, se souvient Awa Traoré, « les caisses sont souvent recouvertes de boues qui touchent quelquefois le pain. » C’est à partir de tout ce constat et d’une expérience vécue, explique Dr Salimata Koné de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments (ANSA), qu’est née l’idée de réaliser une étude sur la qualité du pain à Bamako.

« En consommant un jour le pain, j’ai frôlé une pointe dans ma bouche », se désole Dr Koné Salimata auteur principale de l’étude « évaluation de la qualité microbiologique et chimique du pain et de la farine servant à faire le pain dans les boulangeries de Bamako. »

Tous les pains de Bamako contaminés

Selon l’étude, la qualité du pain dans toutes les communes de Bamako se détériore de la boulangerie aux points de vente. Des microbes aérobies mésophiles1 ont été retrouvés à 77% dans les boulangeries, à près de 97% chez les distributeurs et sur la totalité des pains au niveau des points de vente.

« Nous avons quantifié les microbes qui se posaient sur le pain, explique Dr Koné. Et on a remarqué que lorsqu’on détecte par exemple cinq germes sur le pain au niveau de la boulangerie, on trouvera 15 germes au niveau du distributeur et 20 chez les boutiquiers. »

Au cours de l’enquête, les chercheurs ont prélevé 186 échantillons de pain et 36 échantillons de farine auprès de 90 distributeurs, dans 150 points de vente et 30 boulangeries choisies de façon aléatoire dans les six communes de Bamako. La farine a été uniquement prélevé dans quelques boulangeries du district.

Des traces de substances toxiques

A partir des analyses faites dans des laboratoires nationaux, les chercheurs ont découvert, en dehors de la contamination microbienne, des résidus de pesticides dans 34% des farines et l’aflatoxine2 dans plus de trois quarts des échantillons.

« Les pesticides retrouvés dans la farine sont l’Aldrine, la Dieldrin, le Lindane et le DDT », détaille l’équipe de recherche dans leur étude. Puis, elle précise qu’« il est probable que ces pesticides se retrouvent dans le pain puisque la technologie utilisée dans la production de pain ne permet pas de les éliminer ».

Interrogé par JSTM, Dr Marjorie Le Bars, chercheure à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), basé à Bamako, apporte un éclairci. « l’Aldrine, la Dieldrin, le Lindane et le DDT ne sont pas en réalité des pesticides, mais plutôt des substances utilisées dans la fabrication des pesticides », expose l’experte indépendante. Toutefois, ajoute-t-elle, « à des niveaux très élevés dans l’organisme, l’aldrine et la dieldrine deviennent toxiques pour les humains. Elles peuvent causer des problèmes de cancer et affecté le système nerveux central. »

« Certaines personnes exposées pendant longtemps à des taux modérés d’aldrine et de dieldrine souffrent de maux de tête, de vertiges, d’irritabilité, de vomissements et de mouvements musculaires incontrôlés », a averti l’Agence américain du registre des substances toxiques et des maladies dans une étude publiée sur leur site internet (https://www.atsdr.cdc.gov/).

« Il est donc urgent de mettre l’accent sur le contrôle des pesticides en appliquant la Convention de Stockholm3 afin de limiter la circulation des pesticides non homologués et aussi de doter les distributeurs de pain de matériels adéquats. Et surtout de former les boulangers aux bonnes pratiques de fabrication du pain », conseille Dr Salimata Koné.

Blocage ?

Joint au téléphone, le ministère malien de la Santé affirme avoir pris connaissance des résultats de l’étude. Mais n’a pas d’arme pour agir, explique Moussa Ag Hamma, Directeur de l’hygiène publique et de la salubrité.

« Les services d’hygiène au niveau du ministère de la Santé et du développement social sont en réalité confrontés à un problème de textes réglementaires. C’est dans ce cadre que le ministère de la Santé a élaboré un projet de code de l’hygiène publique, prenant en compte tous les aspects de l’hygiène et particulièrement celui de la restauration collective, de la production jusqu’au consommateur final. Le texte suit le processus normal et je pense que dans les jours à venir il sera adopté et permettrait ainsi aux agents de jouer pleinement leur rôle », a signifié Moussa Ag Hamma.

Mardochée BOLI

Aller plus loin
  • Microbes aérobies mésophiles représentent l’ensemble des bactéries, des levures et des moisissures se développant à une température de 20°C à 45°C avec oxygène dans l’eau. Ils présentent divers risques sur la santé. En effet, un nombre élevé de germes aérobies est un indicateur d’une contamination ou d’une multiplication bactérienne.
  • Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les aflatoxines sont des substances toxiques produites par certains types de champignons (moisissures) présents naturellement partout dans le monde ; elles peuvent contaminer les cultures alimentaires et constituent une menace grave pour les humains et le bétail.
  • La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants a été adoptée lors d’une Conférence de plénipotentiaires tenue le 22 mai 2001 à Stockholm (Suède). Elle vise à éliminer les pesticides dangereux et des produits chimiques industriels qui risquent de tuer, d’endommager les systèmes nerveux et immunitaires, de causer le cancer ou des problèmes reproductifs et d’interférer dans le développement normal de l’enfant et du nourrisson. Cette convention a été ratifiée par le Mali, le 20 mai 2003.

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