«L’avenir de la Santé est inquiétant au Mali»

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La prolifération des écoles de médecine privées au Mali avec son corollaire de «médecins mals formés» compromet les efforts d’assainissement de l’environnement sanitaire enclenché depuis des années par le conseil national de l’ordre des médecins.

«C’est comme des boutiques, on ne peut pas passer dans les rues de Bamako, sans voir des écoles de santé et des cliniques qui pullulent de partout», s’inquiète Korotoumou Traoré, 27 ans, victime d’une mauvaise expérience avec un «médecin mal formé», dit-elle, dans une clinique de Baco Djicoroni, à Bamako. 

«C’était en 2019, mon fils était malade et je l’ai amené dans une clinique pour faire des analyses. Au laboratoire, un infirmier s’est approché de nous pour faire le prélèvement du sang. Il s’est mis à piquer mon fils de partout sans trouver la veine et son sang a commencé à jaillir. Quand j’ai vu cela, j’ai piqué une crise de colère qui a fait intervenir le médecin chef de la clinique. Et lui, quand il a pris l’enfant, tout de suite, il a retrouvé la veine et a fait le prélèvement», raconte Korotoumou, en montrant les cicatrices laissées par le perfuseur sur le bras de son fils. 

Dr Modibo Doumbia, président de l’Ordre des médecins du district de Bamako a aussi révélé, le 27 mars dernier, au cours de l’assemblée générale du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), les rapports de plusieurs usagers qui estiment avoir été victime d’une faute médicale. La raison, indique-t-il, «c’est l’insuffisance dans la pratique quotidienne de l’art lié à la formation du médecin au Mali.» 

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Selon Dr Doumbia, le Mali a échoué dans la formation de ses agents de santé. « La particularité malienne est la faillite des autorités dans la formation des médecins et pharmaciens car ce domaine est exclusivement réservé au public dans tous les pays qui se respectent», a-t-il affirmé. Puis ajoute Dr Doumbia, « l’avenir de la santé est inquiétant au Mali. Certaines écoles forment des pharmaciens sans le baccalauréat et des médecins sans faire le premier cycle des études médicales.» Une pratique critiquée par le docteur Ousmane Ly, Conseiller en charge de la formation et de la communication du CNOM. 

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Aux dires du conseiller Ousmane Ly, «le recrutement des étudiants sans le bac en 3ème  et 4ème  année de médecine; la création de structures privées de santé par des leaders religieux en complicité avec certaines autorités ; l’affectation des doctorants dans des spécialités douteuses, sont entre autres les problèmes qui empêchent le système sanitaire malien d’exceller.» 

Le secteur de la santé agonise…

Si l’ordre des médecins s’inquiète de la qualité de la formation reçue par les agents de la santé qui exercent dans les hôpitaux du pays,  les patients craignent surtout pour leur vie. 

Tcheou Eviard, peintre décorateur résidant à Sirakoro, raconte à JSTM le calvaire vécu par son frère dans une clinique à Bamako Aci 2000. 

« Mon frère urinait un liquide rougeâtre. Arrivé dans cette clinique, le médecin traitant a déclaré qu’il souffrait du paludisme. Après plusieurs jours passés dans la clinique sous perfusion, son état s’est aggravé. C’est plus tard qu’un de nos amis nous a recommandé un autre médecin qui a découvert que l’appendicite de mon frère avait éclaté. Et, après une opération, il a retrouvé la santé », se souvient Tcheou Eviard en se demandant : » Ce médecin n’avait-il pas bien fait le diagnostic ? Tous les médecins de la clinique étaient-ils incompétents ? Est-ce que j’étais dans une bonne clinique ?

Interrogé par JSTM, Dr Ousmane Ly, explique qu’ «il est aujourd’hui difficile de reconnaitre le vrai médecin du faux au Mali. Tout simplement parce qu’on recrute n’importe comment, sans faire de contrôle ni de suivi

En 2017, un rapport du Vérificateur général, révélait que près de 257 établissements de santé privés répertoriés à Bamako et Sikasso ne disposaient pas de licence. Auprès de cette réalité, Dr Djimé Kanté, porte-parole du syndicat des travailleurs du CHU-Gabriel Touré relate des réalités vécues dans les hôpitaux publics à Bamako.

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«Le CHU-Gabriel Touré est l’hôpital le plus fréquenté et le plus important du Mali. C’est l’hôpital qui reçoit 100.000 patients par an, et dans cet hôpital aujourd’hui trouver de l’alcool pour les soins. Une paire de gants ou un simple papier pour faire la radiographie est un luxe », révèle Dr Kanté. 

Quand les crises socio-politiques empirent de plus en plus la situation

Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), «près de 17, 2% des structures de santé au Mali ne sont pas ou sont partiellement fonctionnelles.» 

L’accès aux soins des populations affectées par les conflits intercommunautaires est restreint par les destructions et pillages des organismes de santé. Environ 19% des formations sanitaires ont été détruites ou partiellement endommagées. Des cas de destruction complète ont été notés dans cinq régions, à savoir Kidal, Tombouctou, Gao, Koulikoro et Mopti.

Même dans les infrastructures encore fonctionnelles, «la qualité n’est pas assurée par faute de ressources financières suffisantes, d’équipement et d‘une insuffisance qualitative et quantitative de personnel de santé » révèle l’étude de l’OMS intitulée “Impact de la crise humanitaire sur les structures de santé au Mali.” 

Etat de fonctionnement des structures de santé au Mali (Source: OMS)

Aujourd’hui, dans le département de pédiatrie du CHU Gabriel Touré, un enfant sur quatre (24 %) meurt à la suite de son hospitalisation, selon un rapport  du Bureau du vérificateur général publié en 2018. 

Mme Keïta se souvient qu’en juillet 2019, sa fillette d’à peine un mois a perdu son bras droit au service pédiatrique de Gabriel-Touré pour un problème gastrique. 

« Aux urgences pédiatriques, on l’a perfusée et piquée à plusieurs reprises. C’est à ce moment-là que sa main a commencé à noircir, raconte Mme Keïta à un confrère. Chaque fois que les médecins venaient, je leur montrais sa main. Ils me disaient qu’il n’y avait pas de problème, que si je lui donnais tel ou tel médicament, elle allait guérir.  Las, une semaine d’hospitalisation plus tard, la gangrène avait progressé jusqu’au coude du bébé qui sera amputée dans la soirée du 29 juillet 2019 »

Incompétence ou négligence du médecin ? Face à cette situation inquiétante, que faire ?

Mardochée BOLI | JSTM.ORG

1 commentaire
  1. Mamadou BA dit

    Bonsoir cher Boly et tous,

    Les solutions de cette crise sont toutes simples.
    1- Fermeture immédiate de toutes les écoles privées illégales,
    2- ouverture immédiate de deux (2) autres facilités de médecine et de pharmacie dans les régions (Sikasso et Ségou),
    3- 0ccuper les enseignants en charge de la formation de la santé et la pharmacie.
    4- gérer les formations post universitaires pour éviter les redondances et les duplications…
    Excellente soirée à tous.

    Dr BA Mamadou PhD
    Enseignant-Chercheur

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