Les bactéries font-elles vraiment de la résistance?

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Ce billet sur la résistance des bactéries aux antibiotiques a été écrit par Dr Daouda A.K. TRAORE, chercheur en biochimie et en biologie moléculaire de Monash University Biomedicine Discovery Institute en Australie. Le billet a été publié sur son Blog.

La résistance aux antibiotiques est un enjeu de santé publique et si nous ne faisons pas attention, nous allons nous retrouver très rapidement dans une nouvelle ère pré-antibiotiques. Vous trouverez des milliers de références sur le web vous expliquant l’arsenal de défenses mis au point par des bactéries pour résister à nos antibiotiques. Dans cet article, je vais tenter de vous expliquer les mécanismes moléculaires qui se cachent derrière ce phénomène et j’espère vous convaincre que ces bactéries qui font de la résistance, sont peut-être elles même victimes de leur hospitalité. Dans cet article, je vais vous expliquer comment les bactéries arrivent à survivre en présence d’antibiotiques grâce aux plasmides. La figure ci-dessous représente une bactérie avec son chromosome et deux plasmides en son sein.

IMG_0001Chez Escherichia coli, bactérie responsable entre autres d’infections urinaires, son chromosome est la forme compactée de l’information génétique contenue dans l’ADN et qui est nécessaire à son développement, sa survie et ainsi qu’à sa virulence. Quand tout va bien, la bactérie n’a, a priori besoin de rien d’autre génétiquement parlant. Les plasmides sont des fragments d’ADN, généralement minuscules mais dont la taille peut atteindre les 100.000 paires bases. À titre de comparaison, le génome de E. coli contient environ 5 millions de paires de bases et le génome humain environ 3 milliards. Ces plasmides sont en quelque sorte des ADN étrangers qui vivent dans la bactérie comme des parasites. Même si le plasmide à lui tout seul peut être difficilement considéré comme une forme de vie, celui-ci a besoin de la machinerie cellulaire de son hôte pour “survivre”. Que retrouve-t-on sur ces plasmides? Et bien toute l’information nécessaire à la réplication, l’entretien, la survie et la propagation de celui-ci; ce comportement n’est-il pas dangereusement similaire a celle d’une forme de vie? Sachez que la bactérie n’a quasiment aucun contrôle sur le plasmide (un vrai parasite donc) et voila quelques-uns des modules que l’on retrouve gravés dans son ADN:

1. Réplication L’ori est l’origine de réplication du plasmide. Il est souvent précédé ou suivi du gène rep. Ce gène a pour seul et unique but de répliquer (photocopier) le plasmide sur lequel il se trouve. Le plasmide désactive ce gène quand le nombre copie optimal est atteint. Ce mécanisme de régulation permet de contrôler le nombre de plasmide présent dans l’hôte afin de ne pas inonder celui-ci. Tout est fait pour le garder en vie.

2. Partition Le système de partition permet au plasmide de se disséminer également dans les cellules filles lors de la division cellulaire. Le plasmide est capable de sentir quand la cellule va se diviser et de déployer les gènes codés sur le module par, qui vont s’assurer que chaque cellule fille reçoit au moins une copie du plasmide. Dans les nouvelles cellules, ori et rep font ce qu’elles ont à faire pour entretenir le plasmide. La cellule pourrait facilement se débarrasser de ces ADNs étrangers qui lui pompent de l’énergie pensez-vous? Le plasmide possède deux modules à la fois fascinant et terrifiant qui sont la Sélection et l’Addiction. La présence de l’un ou l’autre (voire les deux) peut rendre la présence du plasmide nécessaire à la survie même de la bactérie.

3. Sélection Ce module confère généralement à la bactérie des propriétés très intéressantes qui ne sont pas inscrites dans son génome et dans plus de 50% des cas, il s’agit d’une résistance aux antibiotiques. C’est donc l’une des raisons pour laquelle la bactérie garde le plasmide. Sachez qu’un seul plasmide peut porter des gènes de résistance à plusieurs antibiotiques, ce qui est un avantage considérable pour la survie dans des environnements extrêmes comme les hôpitaux. La prochaine fois que vous entendrez parler de bactéries résistantes aux antibiotiques, vous saurez que cette résistance est due à la présence de un ou de plusieurs plasmides. Nous parlerons plus tard de la réorganisation interne des plasmides et comment un seul plasmide peut par la suite conférer une résistance multiple. Dans les cas où la bactérie se retrouve avec plusieurs plasmides dont les rôles sont redondants, elle peut essayer de se débarrasser de celle qui ne l’intéresse plus. Cependant, certains plasmides font jouer la concurrence en arborant un module d’addiction, empêchant la bactérie de les éliminer.

4. Addiction Le module d’addiction est plus souvent un système poison/antidote qui assure une vie “éternelle” au plasmide au sein son l’hôte. Le plasmide largue successivement les deux composantes dans la cellule: le poison a une longue durée de vie et l’antidote une durée de vie très courte. Ainsi, le plasmide doit de façon régulière secréter l’antidote pour que la cellule ne meurt pas. Et si cette dernière décide de se débarrasser du plasmide, le reste de poison la tuera. Ce système assure également la pérennité du plasmide pendant la division cellulaire car les génération suivantes doivent porter une copie de l’antidote. Comprenez donc que la bactérie qui a acquis un plasmide portant un tel module ne pourrait donc pas s’en débarrasser aussi facilement même si elle le souhaitait. Un autre aspect de cette vie de plasmide est le fait que la bactérie n’a pas forcément choisi de l’accueillir. Un des modes de propagation utilisé pas les plasmides est appelé Conjugaison. Les mécanismes moléculaires de la conjugaison sont très peu compris et ce sujet est l’une de mes thématiques de recherches.

5. Conjugaison (ou le sexe des bactéries) La machinerie servant à la conjugaison est un ensemble de plusieurs gènes (entre 10 et 15 gènes) qui forment un complexe entre plusieurs protéines dont le mode d’action se décompose comme suit. Il faut déjà deux bactéries: l’une est donneuse (du plasmide) et la seconde réceptrice. Pour l’instant, nous ignorons comment la cellule donneuse déclenche le signal qu’elle a un plasmide à transférer et comment la réceptrice décide de recevoir ce dernier. L’interaction entre les deux cellules se fait par le pilus, qui est un canal entre les deux cellules. Des protéines spécialisées forment le relaxosome. Celui-ci va reconnaitre le plasmide à transférer et lui coller une étiquette qui lui permettra d’interagir avec le transferosome par l’intermédiaire de la protéine de couplage qui va littéralement pomper l’ADN à travers le transferomose qui est le canal entre les deux cellules. La compréhension de ces mécanismes permettront à long terme trouver des moyens pour limiter la dissémination des gènes de résistances aux antibiotiques.

Autres modules: La liste des modules présents sur les plasmides est loin d’être exhaustive. D’autres modules comme les Transposons, les Integrons et IS elements (séquences d’insertions) sont des modules qui permettent aux plasmides comme leurs noms l’indiquent, de transposer ou déplacer des gènes, de s’intégrer à d’autres plasmides ou alors d’insérer d’autres gènes sur leur squelette. Ces modules apportent donc une plasticité au plasmide et la possibilité d’évoluer en intégrant des nouveaux éléments. Ainsi les plasmides arrivent à accumuler les propriétés intéressantes à leur goût, à les trier pour garder les meilleures et à les ranger façon très élégantes pour que l’accumulation des gènes ne soit pas au détriment de la santé du plasmide et de la bactérie. Cette plasticité et la faculté d’adaptation font que nous avons accumulé un très grand retard dans la course aux nouveaux antibiotiques. Les antibiotiques sont actifs à très faible dose et quand une personne est traitée pour une infection, plus de 95% de la substance active n’est pas métabolisée (dégradée), donc rejetée dans l’environnement. Les bactéries vont donc par le biais des plasmides s’échanger les gènes adéquats à une résistance et le traitement suivant sera donc inefficace. Chacun des modules sus-cités font l’objet de travaux de dizaines de groupes de recherche à travers le monde. J’en arrive donc à la conclusion les Super-Bactéries (bactéries multirésistantes) sont peut-être elle même victimes des plasmides. La chasse à la kryptonite est donc ouverte! Après tout, le plasmide est un gène égoïste.

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