Mali : Le fleuve Niger pollué “se meurt et tue”

Appelé «Djoliba» en langue mandingue, le fleuve Niger est l'objet d'une pollution croissante compromettant dangereusement son avenir et causant des victimes. Les causes demeurent multiples : déchets liquides, solides...

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« Le mal existe », s’alarme Abdourahamane Oumarou Touré, directeur de l’Agence du bassin du fleuve Niger. Cette agence, créée en mars 2002, a pour mission la sauvegarde du fleuve Niger et ses affluents sur tout le territoire malien.

Dans les rues de Bamako, la capitale malienne, des vieilles chaussures recouvertes de poussières, des vêtements déchirés, des sachets entremêlés, et plusieurs autres déchets s’entassent, de jour en jour. Les rives du fleuve Niger ne sont pas épargnées. Des matières organiques, plastiques et métaux en décomposition les polluent. « C’est inquiétant pour nous pécheurs, mais que faire ?» interroge Drissa, tête baissée en fixant le fond du fleuve, non loin de la cité administrative de Bamako.

Selon Dr Baba Faradji N’diaye, géographe environnementaliste, les riverains du fleuve Niger sont les premiers responsables de sa pollution. « Tous les quartiers riverains du fleuve déversent tout ce qu’ils produisent comme déchets liquides, déchets solides, directement dans le fleuve. Les unités industrielles, les unités artisanales comme la tannerie, les teinturiers… Tous, déversent directement leurs eaux usées dans le fleuve », soutient-il.

« Le fleuve Niger risque de disparaître avec l’ensemble des espèces animales et végétales”, alerte Oumarou Touré, en indiquant que “les cours d’eau risquent d’être d’une inutilité absolue du fait du niveau de la pollution physico-chimique à laquelle le fleuve est soumis par des hommes conscients des conséquences de leurs actes.»

«Le grand Bamako ne dispose d’aucune station de traitement des eaux usées urbaines…» | Dr Sidy BA

Cette alerte est aussi donnée dans une étude de l’Institut polytechnique rural (IPR) de Katibougou où une équipe de chercheurs conduite par Sidy Ba, expert en génie chimique et environnemental présente les principales sources de pollution du fleuve.

Plusieurs recherches menées pour pallier le fléau

Aux dires des chercheurs, plus de 611 000 mètres cubes d’eau polluée sont rejetés chaque jour dans le fleuve Niger. «Cette quantité d’eau sale relativement élevée contient des eaux de ruissellement. Toutefois, même ces eaux de ruissellement sont assimilables à des eaux usées à cause des contaminations massives des dépôts d’ordures et des eaux usées urbaines de la ville», explique Sidy Ba.

«Le grand Bamako ne dispose d’aucune station de traitement des eaux usées urbaines hormis un système de lagunage inefficace à Sotuba en Commune 2, auquel sont connectées quelques unités industrielles qui y acheminent leurs effluents», poursuit le chercheur.

De plus, la capitale ne dispose pas de déchèterie pour une gestion optimale des ordures et n’a qu’un seul site d’enfouissement de décharge finale à Noumoubougou, actuellement fermée. Plus problématique, c’est l’absence d’une station de traitement des boues de vidange pour la capitale malienne. Les boues sont acheminées sur deux sites de la zone aéroportuaire à Gouana et Flabougou pour les y déverser à l’air libre, causant des ruissellements qui atteignent le fleuve Niger en période pluvieuse.

Les chercheurs ont également dénombré 94 collecteurs des eaux usées, parmi lesquels 58 aboutissent directement au fleuve Niger pour y déverser leurs eaux.

Déversement des boues de vidange dans le fleuve Niger à Gouma.

À quelques dizaines de mètres des bâtiments universitaires de Badalabougou, on aperçoit une colline d’ordures « répugnantes » proche du fleuve Niger. « Chaque fois qu’il pleut, l’eau sale issue de cette décharge est acheminée directement vers le fleuve», témoigne Abdoulaye Bocoum, étudiant en géographie. Cette affirmation vient attester ce que disent Sidy Ba et son équipe dans leur étude baptisée « Cartographie du réseau d’égout de Bamako et évaluation des déversements des eaux usées de la ville dans le fleuve Niger.»

Pour rappel, en 1993, 1997 et 1998, à la suite de violentes pluies, les eaux du fleuve à Bamako ont fait l’objet d’une pollution par l’insecticide DDT, suffisamment sérieuse pour que l’on avertisse la population.

Un rapport scientifique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) sur l’«Avenir du fleuve Niger», révèle qu’à Koulikoro, certains incidents de rejet ont entraîné une mortalité des poissons sur plusieurs kilomètres de fleuve. À Siribala, les pêcheurs observent que l’effet de la pollution, là où elle est fortement concentrée, est l’asphyxie immédiate du poisson.

Il y a trois ans, en mai 2019, de très nombreux poissons morts ont été découverts dans le fleuve Niger, à Baguineda, une ville voisine de Bamako. La vraie cause de la mort de ces poissons n’a jamais été rendue officielle. Toutefois, les autorités maliennes reconnaissent que d’importantes quantités de déchets ont été drainées par la pluie. Et des substances toxiques ont été avalées par les poissons. Mais, seule la publication des résultats des analyses scientifiques devrait trancher le sujet.

À Badalabougou, un quartier de Bamako, le même cas s’est produit au début de cette année. Une grande quantité de poissons morts flottait à la surface du fleuve, juste derrière l’hôpital Golden-life. Toujours le même scénario. Aucun résultat des analyses d’échantillons de poissons prélevés n’a encore été rendu public.

«À cause de ces mauvaises pratiques, le fleuve se meurt petit à petit», a soutenu Mahamadou Kéita, un ex-député de Kangaba, une petite ville située au bord du fleuve Niger, dans la région de Koulikoro.

«Il n’y a plus de poissons à pêcher dans le fleuve. Et ici à Kangaba, on ne consomme plus de poissons pêchés dans le fleuve Niger au risque de manger du cyanure ou du mercure », déplore Kéita.

D’après Dr Sidy BA, «de réelles opportunités existent pour améliorer l’assainissement » de Bamako afin de préserver le fleuve Niger. Parmi lesquelles, on note entre autres, la mise à jour ou la réalisation d’études approfondies sur le système de gestion actuel des déchets solides et liquides de la ville de Bamako. Et, favoriser l’émergence d’une véritable industrie de la gestion des déchets qui créera des emplois stables à travers un entrepreneuriat social formel et soutenu par une volonté politique réelle.

Crédit Photo: Thomas Dutour

Mardochée BOLI | JSTM.ORG

1 commentaire
  1. Fatoumata maleba Coulibaly dit

    Vraiment il est temps de préserver notre fleuve pour au moins avoir un environnement saint

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