Malnutrition au Mali: « Il ne faut pas sous-estimer les conséquences »

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Dans le monde, environs 55 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë. Au Mali, c’est plus de 15% des enfants qui endurent la forme la plus grave de malnutrition à Tombouctou et à Gao, selon le rapport publié par l’UNICEF en octobre dernier. Pour comprendre l’impact de la malnutrition et connaître les actions menées par MSF, deux experts de l’organisation humanitaire internationale ont répondu aux questions du Journal Scientifique et Technique du Mali.

Docteur Patrick IRENGE est médecin généraliste et coordinateur médical de MSF au Mali. Laurent HIFFLER est pédiatre réfèrent technique de MSF en Afrique de l’ouest et centrale.

JSTM : Combien de malnutris sévères ont été recensés par MSF au Mali ?

Patrick IRENGE : Je tiens tout d’abord à mentionner qu’au Mali, MSF a cinq projets. Le projet de Koutiala, d’Ansongo, de Douentza, de Kidal et de Ténenkou. Je peux vous donner des chiffres qui concernent seulement nos projets. Pour donner une vision plus ou moins globale de la malnutrition au niveau du Mali, une enquête a été menée par le Ministère de la santé du Mali et  l’UNICEF. Je parlerai ici des projets d’Ansongo et de Douentza pour donner des chiffres plus exacts. En ce qui concerne le projet de Douentza, MSF a entrepris une enquête nutritionnelle- au  mois de février 2018. Il a été constaté que le taux  de malnutrition aigüe sévère s’élève à 1,5% et la taux  de malnutrition aigüe modérée s’élève à 1,8% sur base d’un échantillon (de 744 enfants âgés de 6 à 59 mois) qui a été  sélectionné selon les standards de l´épidémiologie. C’est un pourcentage qui pourrait être inféré sur  le cercle de Douentza pour donner une image globale sur la malnutrition dans le district. En 2017(de Juin –Décembre) nous avons admis dans le centre de santé de référence de Douentza, 254 enfants avec malnutrition aigüe sévère plus complications médicales. Quant au centre de référence d’Ansongo nous avons admis sur les 12 mois de l´année, 329 enfants atteints de malnutrition aigüe sévère plus complications médicales, et 372 enfants, avec malnutrition aigüe sévère mais, sans complications médicales.

« un enfant qui naît avec un petit poids de naissance a plus de risque de développer la malnutrition par la suite »

La malnutrition est-elle due à une maladie ou est-ce juste la conséquence d’une mauvaise alimentation ?

Laurent HIFFLER : Il faut d’abord comprendre que la malnutrition aigüe sévère est une maladie en elle-même. Une maladie compliquée à prendre en charge car elle occasionne des changements physiologiques et métaboliques. Les personnes touchées peuvent aussi développer une infection grave comme une pneumonie, une déshydratation ou d’autres pathologies.

Comme la malnutrition résulte d’une inadéquation entre les besoins de l’organisme et les apports nutritionnels, certaines maladies chroniques peuvent entraîner une malnutrition. Une personne atteinte du VIH ou de la tuberculose par exemple, voit ses besoins augmenter. Si elle n’augmente pas ses apports, elle risque alors de tomber dans la malnutrition.

La malnutrition, au sens large, peut ainsi être la conséquence d’une sous-alimentation, ou bien la suite d’une maladie, ou les deux.

Enfin, il existe d’autres facteurs qui feront qu’un enfant est à risque de développer la malnutrition. Par exemple un enfant qui naît avec un petit poids de naissance a plus de risque de développer la malnutrition par la suite. Enfin, une atteinte du tube digestif nommée entéropathie environnementale semble assez fréquente et ferait le lit de la malnutrition. Probablement pour des questions d’hygiène, certains enfants vont développer au fur et à mesure une inflammation au niveau du tube digestif. L’intestin devient moins efficace, l’absorption des nutriments se fait moins bien et peu à peu, on a des diarrhées plus fréquentes et ainsi on construit la malnutrition qui va arriver ensuite. Par ailleurs, des maladies successives comme les épisodes répétés de diarrhée, les accès de paludisme sont responsables de pertes de poids, parfois non rattrapées faisant alors basculer l’enfant dans la malnutrition. Il faut aussi souligner que la période de sevrage du nourrisson (moment où il ne prendra plus le sein) est une période à fort risque de malnutrition. Il ne prend plus ou moins de lait maternel et il ne prend pas assez d’alimentation solide.

La malnutrition n’est donc pas liée à une sous-alimentation ?

Laurent : C’est là qu’il faut faire très attention. La définition de la malnutrition, ce n’est pas seulement qu’on manque d’alimentation et qu’il suffit de manger pour guérir. Il existe la malnutrition par excès, dont souffrent de plus en plus de personnes, avec des cas d’obésité. Il existe aussi la malnutrition par carence, qui résulte d’une sous-alimentation par rapport aux besoins de l’organisme.

Cette malnutrition peut être quantitative, lorsque la nourriture vient à manquer notamment durant les périodes de soudure. Elle peut aussi être qualitative, lorsque les personnes manquent de certains micronutriments tels que la vitamine A, par exemple. La malnutrition qualitative est souvent liée à un régime monotone (peu de diversité). Sous-alimentation et malnutrition qualitative sont souvent liées.

A quel moment peut-on dire qu’une personne est malnutrie ? Y-a-t-il des signes ?

Laurent : Si les signes ne sont pas toujours évidents, ils sont relativement bien codés notamment pour la malnutrition aiguë modérée, la malnutrition aiguë sévère et la malnutrition chronique. Nous nous basons sur les mesures anthropométriques (mesure de la taille, du poids, du périmètre brachial). Pour les critères d’examens médicaux on recherche par exemple des œdèmes (kwashiorkor), la fonte musculaire, une émaciation. Dans la malnutrition aiguë sévère, il y a souvent une anorexie associée, une anémie. En ce qui concerne les carences plus spécifiques il y a par exemple la sécheresse de l’œil (ou xérophtalmie) dans la carence en vitamine A, des signes neurologiques ou cardiaques ou les deux dans le carence en vitamine B1, une anémie liée à des carence en vitamines B et en fer etc…

« La malnutrition peut avoir un impact délétère sur le développement cognitif de l’enfant à long terme »

Un malnutri peut-il développer plus-tard des maladies, d’autres pathologies même âpres recouvrement nutritionnelle ?

Laurent : Le premier risque pour un enfant qui a traversé une période de la malnutrition aiguë sévère, c’est la rechute. Malheureusement il y a peu d’étude sur le suivi à long terme des enfants malnutris. Toutefois, les données actuelles montrent que les enfants qui ont été sujet de la malnutrition seront plus à risque de maladies chroniques à l’âge adulte. On a remarqué des syndromes métaboliques et des maladies cardiovasculaires. Très souvent, les malnutris ne développent pas de taille normale. Et les conséquences de la malnutrition ne s’arrêtent pas là. La malnutrition peut avoir un impact délétère sur le développement cognitif de l’enfant à long terme. Il est important de stimuler les enfants malnutris pour éviter cet impact sur  l’apprentissage scolaire et le potentiel intellectuel. Au vu de ces conséquences sociales et sanitaires de la malnutrition, il est très important d’insister sur les mesures de prévention et de dépister et traiter le plus tôt possible les cas de malnutrition.

 Peut-on s’attendre à une augmentation du nombre de malnutris au Mali suite à la mauvaise pluviométrie l’an dernier ?

Patrick : En considérant le fait que les récoltes ont été  mauvaises et que des inondations ont détruit des pâturages avec impact  sur  l’alimentation du bétail ; Oui ! Je pense qu’il faut s’y attendre. Des analyses  réalisées par cadre harmonisé au Mali ont montré certaines précarités nutritionnelles au niveau du Mali. Ces études expliquent en détails la prévalence de l’insécurité alimentaire qui s’accroit plus avec les problèmes de pluviométrie. La faible pluviométrie, la destruction de pâturage et la prévalence de l´insécurité alimentaires sont des éléments inaugurateurs de la possible augmentation de nombre de malnutris au cours de cette année.

Quelles sont les actions de MSF pour aider la population dans la lutte contre la malnutrition ?

 Patrick : Le MSF procède à une surveillance de la  malnutrition principalement dans ses zones d´intervention. Puis sensibiliser et éduquer les populations sur « comment détecter les signes de la malnutrition » et comment la prévenir. Nous appuyons aussi la prise en charge des cas malnutris sévères en ambulatoire et en hospitalisation. Et si jamais, il y a une crise qui éclate au Mali, nous avons mis en place une équipe de réponse aux urgences entre le Mali et le Niger avec une capacité de prise en charge de cas de malnutris sévères.

Propos recueillis par Mardochée BOLI

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