Soumana Fofana: « Développons les biodigesteurs en milieu rural pour garantir la durabilité des forêts »

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Dans le cadre de la Semaine de la diplomatie climatique européenne, le coordinateur du Programme Alliance Globale contre le Changement Climatique financé par le Fonds Européen de Développement en appui au secteur forêt au Mali, détaille les pressions subies par le patrimoine forestier national et partage la stratégie pour une meilleure sauvegarde.


Propos recueillis par Mardochée Boli


Selon un rapport de la direction nationale des eaux et forêts, l’utilisation du bois énergie1 a un impact majeur sur les ressources naturelles du pays et contribue fortement à l’émission du gaz à effet de serre au plan national. Et ce, malgré des engagements pris par le Mali en faveur de l’accord de Paris sur le climat, en septembre 2016. Où en est-on aujourd’hui avec le patrimoine forestier et quelle est la stratégie à mettre en place pour préserver l’avenir de la flore et de la faune dans le pays ?  Soumana Fofana, le coordinateur du Programme Alliance Globale contre le Changement Climatique au Mali phase 2 (AGCC-Mali 2) fait le point.

Journal scientifique et technique du Mali (JSTM): Que représente aujourd’hui le patrimoine forestier national ?

Soumana Fofana : A travers les deux inventaires forestiers réalisés en 2006 et 2014, le patrimoine forestier du Mali s’évalue à 37,7 millions d’hectares. Il représente environ 30% de la superficie du pays. Ce potentiel est composé de deux entités. Une entité purement forestière qui représente 27,5% du territoire et une entité renfermant le couvert végétal des terres agricoles faisant 10,2%. Cependant, nous avons environ 500 000 hectares de forêt qui disparaissent chaque année à travers nos différentes actions de développement.

« Les investissements effectués pour réparer les préjudices sont très insignifiants… »

Quelles sont les différentes pressions que subit le patrimoine forestier malien ?

Les pressions que subit le patrimoine forestier de notre pays sont énormes et variées. Quand nous prenons par exemple les boulangeries au Mali. Une seule consomme en moyenne 1 à 1,5 stère de bois2 par jour, l’équivalent d’une charrette. Les huileries gaspillent entre 0,1 et 1 tonne de bois par jour. Et, en dehors de l’exploitation du bois de chauffe qui représente une grande pression sur les forêts, l’exploitation des bois d’œuvre, le défrichement incontrôlé à travers le secteur agricole, l’orpaillage et l’exploitation minière causent un grand préjudice au couvert forestier national sur lesquels il faut tirer la sonnette d’alarme. Même si les textes législatifs réglementaires ont été légiférés sur la question, en indiquant qu’aucune exploitation ne peut se faire sans un plan d’aménagement et de gestion, la pratique actuelle décèle beaucoup de lacunes. Les investissements effectués pour réparer les préjudices sont très insignifiants et très en deçà des attentes. Au Mali, on exige des études d’impact environnemental et social assorti de plan de gestion environnemental et social (PGES), pour les mesures de mitigations et de compensation avant la réalisation des grands travaux d’exploitation. La mise en œuvre de ces plans n’est pas correctement réalisée faute de suivi et d’évaluation des actions retenues et ce, sans compter la sous-estimation des mesures de mitigation et de compensation. Par exemple pour un défrichement de mille (1000) hectares de forêt, il est souvent proposé un reboisement compensatoire d’environ (100) hectares. Retenons que, même s’il avait été prévu de réaliser les 1000 hectares détruits, cela ne saurait constituer une réelle compensation. Puisse que le défrichement a touché des couverts forestiers de plus de 20 ans. Par ailleurs les plantations réalisées au titre de ces compensations ne bénéficient pas du suivi escompté et de la gestion qui s’impose.

Comment ces actions impactent-elles sur la santé des populations et la sécurité alimentaire ?

Quand on agresse la forêt, on met à nu nos sols et on favorise l’érosion hydrique et éolienne, on augmente la température et on s’expose bien évidemment à des maladies. Dans le milieu rural, le paysan qui veut faire son champ, va contracter des prêts pour acheter de l’engrais en espérant augmenter sa production, mais au final il n’obtient presque rien. Car l’engrais utilisé dans l’amendement du champ est lessivé et transporté par l’eau dû à l’absence de couvert forestier qui devait assurer la rétention des fertilisants. Le paysan n’est pas rétribué à hauteur de son investissement et se retrouve endetté. Il en découle ainsi un début d’insécurité alimentaire et une paupérisation en milieu rural.

Par ailleurs, les préjudices sur nos forêts constituent des sources d’émission de gaz carbonique (CO2) dont la concentration dans l’atmosphère participe à l’augmentation de la température et la prolifération des maladies climato-sensibles. En 2018, les autorités sanitaires ont présenté un bilan de 83 décès uniquement liés aux maladies respiratoires dans notre pays.

Il y a de plus en plus de campagnes de plantation d’arbres qui se font dans nos communes rurales. Comment doit se faire une plantation d’arbres selon les normes ?

De nos jours, nous devons opter pour les reboisements sécurisés en vue de garantir un bon taux de survie dans un contexte de changement climatique. Il s’agit entre autres de réaliser des points d’eau pour les arrosages d’appoint, d’assurer la clôture des plantations, de réaliser des trouaisons d’au moins 60 cm x 60 cm et utiliser des plants vigoureux et adaptés.

Aussi, il faut veiller au traitement des plantations en cas d’attaques des déprédateurs et réaliser des pares-feux autour des plantations contre les éventuels cas de feu de brousse devenus endémiques.  Dans ce contexte de changement climatique, il est recommandé d’associer des hydro-rétenteurs au programme de reboisement pour aider les jeunes plants à s’adapter aux stress hydriques.

Si la majorité des Maliens se rue sur le bois aujourd’hui, c’est à cause du coût élevé de la bonbonne de gaz dans le pays. Quelle stratégie proposez-vous pour suppléer à ce phénomène ?

Je ne suis pas pour une subvention incessante du gaz butane. Cette subvention constitue un poids financier important pour l’Etat, et n’a aucune valeur ajoutée sur la réduction de la consommation du bois énergie. Savez-vous que certaines sociétés utilisent cette subvention pour exporter le gaz. Une étude effectuée avait montré que la subvention du gaz n’avait pas fait fléchir la consommation du bois énergie au Mali. C’est pourquoi je propose d’aller vers les alternatives du bois énergie, notamment les briquettes combustibles, et faire la promotion des équipements économes en bois de chauffe pour minimiser la consommation. Ensuite, il faut mettre en place au niveau du secteur industriel, une réglementation stricte et rigoureuse pour exiger aux industries l’utilisation de l’électricité dans leur production. En milieu rural, on peut développer les biodigesteurs anaérobiques en encourageant la création d’entreprises œuvrant dans la production des alternatives au bois énergie. C’est en appliquant ces solutions qu’on peut garantir la durabilité de nos forêts.


Allez plus loin

* Le bois-énergie est tout simplement le bois utilisé pour produire du feu, que ce soit pour se chauffer, s’éclairer, cuisiner ou produire de l’électricité.

* Le stère de bois est une unité de volume. Il correspond à un volume de 1m3 de bois avec des bûches de 1 mètre.

1 commentaire
  1. Anonyme dit

    Très belle analyse avec bonne solution

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